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Exposition Musée de Cambrai 2010 |
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Discours d'Eva-Maria Fruhtrunk le 26 juin 2010 pour l'inauguration
I Monsieur le Député-Maire, Mesdames et Messieurs les Officiels de la Ville et de la Région, Mesdames et Messieurs, très chers Amis, mon cher Nicolas. Que vous soyez venus nombreux un samedi après-midi au Musée pour partager cette inauguration de notre hommage à Francesco Marino di Teana dont nous célébrons le 90ème anniversaire de sa naissance dans son village natal, Teana, en Calabria dans les Pouilles, je vous en remercie vivement. Je remercie ceux et celles qui m'ont soutenue dans ce projet de montrer cette exposition ici au Musée de Cambrai qui est devenu un peu un havre de paix et de beauté d'œuvres du XXe et du XXIe siècle pour André Le Bozec et pour moi-même. Je salue avec gratitude Laurence Saydon et l'ami Jean-Pierre Roquet ainsi que toute l'équipe du Musée avec laquelle la collaboration fut plus que satisfaisante, la préparation avec Madame Hébert et Madame Rollandi excellente. Quand j'ai rencontré Francesco Marino pour la première fois, ce fut à la galerie Denise René dans les locaux historiques de la Rue La Boétie, en 1956. J'étais enceinte de notre fils Wolf et Huguette la femme de Marino le fut deux ans plus tard pour mettre dans ce monde le petit Nicolas qui n'est plus du tout ce petit Nicolas-là et que je salue ici plus particulièrement comme le fils et en même temps comme un grand ami de son père avec tout ce que cela comporte. Nous sommes devenus très rapidement des amis, entre Marino, Huguette Séjournet, Günter Fruhtrunk et moi. L'amitié personnelle entre ces personnes a sous-tendu l'échange artistique entre les deux hommes - Marino et Fruhtrunk - et les deux jeunes fils se sont liés d'amitié à la suite de celle de leur parents. Rien ne destinait Marino di Teana à une carrière exceptionnelle à partir de sa naissance et de son enfance. La famille vit dans une impressionnante pauvreté et Francesco gardait les moutons à partir de quatre ans avant d'aller à l'école. Il est élevé par sa mère et sa grand'mère puisque son père a émigré à Buenos Aires en tant que maçon. Francesco lui-même devient maçon de son côté à onze ans et suit son père à l'âge de16 ans. Il le rejoint sur son chantier à Buenos Aires et devient lui-même chef de chantier. Le père incompréhensif pour un fils qui s'initie à l'histoire de l'art et à la peinture, Francesco se sépare de lui et prépare le soir et la nuit l'examen d'entrée à l'Ecole des Beaux Arts, y réussit et en sort quatre ans plus tard avec une chaire de professeur. II A partir de ce moment, il mène une vie double: il enseigne le jour et se donne à la peinture le soir, et souvent la nuit. Après avoir reçu de hautes récompenses dont entre autres l'équivalent sud-américain du Prix de Rome pour son œuvre alors figuratif - vous voyez ici trois œuvres que nous avons voulu mettre au début de cette exposition pour indiquer le point de départ - il pense en 1952 qu'il lui est nécessaire de "rentrer" non pas à Teana mais en Europe pour enfin pouvoir regarder les originaux des œuvres qu'il avait étudiées pendant ses études. La première station décisive en Europe est sa visite à Santiago de Compostela en Espagne. Le choc devant la statuaire du portail roman de l'Eglise du Couvent fut tel qu'il lui fait prendre la décision de vouloir devenir sculpteur. C'est une révélation pour lui et peut-être une continuation de ses jeux d'enfant quand il avait modelé des animaux en terre en laissant filer souvent l'un ou l'autre mouton... Il devait rester fidèle à cette décision de devenir sculpteur. Plus tard, ne pouvant pas se défaire complètement de la peinture, il reprend la peinture mais qui eux reste abstraite et non sans-objet. A partir de Santiago, son itinéraire le mène en 1953 à Paris où il commence à bâtir son œuvre de sculpteur. Bâtir son œuvre est peut-être le terme juste, car la sculpture devient rapidement structure architecturale. Il développe ses idées en les réalisant en maquettes souvent minuscules comme son collègue Giacometti jusqu'à des visions de villes futures en respectant la campagne et qui devraient souvent se construire en hauteur ou, pour des monuments, en dessous-terre. vous allez trouver des titres qui vous guident dans cette exposition. Ses études en mécanique et en mathématiques avaient complété son bagage technique et sa curiosité innée pour les sciences et la philosophie de l'Antiquité avait formé sa personnalité qui a toujours tendu vers une vision universelle. Encore durant sa période figurative il découvre comme d'autres collègues - on pense à Henry Moore, Pevsner, Gonzales, Jacobsen et Giacometti - la pénétration de l'ESPACE dans la masse pleine, ce qui l'avait déjà frappé en observant les grandes églises gothiques avec leur dynamique entre ouvertures des fenêtres hautes, des arcs-boutants et des masses pleines du bâtiment.
III C'est à ce moment qu'un deuxième choc se produit et lui ouvre les yeux pour son travail futur et qu'il ne cessera d'explorer toute une vie durant: l'observation à Paris du parcours de l'espace urbaine en perspective entre l'Ecole Militaire, traversant le Champ de Mars et la Tour Eiffel, ensuite passant encore entre les deux corps de bâtiments du Palais de Chaillot et du Musée de la Marine et frappant droit en s'y écrasant la statue équestre du Maréchal Foch sur la place du Trocadéro. Pour Marino l'évidence de la désintégration de la masse par l'espace était née. Cette expérience pour sa vie de sculpteur et pour sa vision d'architecture future lui révèle sa théorie d'équivalence en la formule 1+1=3, comptant les deux masses séparées par la traversée de l'espace à égale valeur comme les deux éléments de masse qu'il traverse. Cette découverte définit alors tout son travail. L'espace devient l'élément dynamique par excellence, il sépare et unit en même temps par l'attraction qui s'opère. Marino parle de l'espace vivant de son "grand et constant maître". Il déclare aussi: "Ce vide n'est pas un néant... Ce n'est pas une séparation mais une force d'attraction. C'est lui la force majeure... l'omniprésent vide-créateur... En lui naissent toutes les énergies". Donc, à partir des années cinquante la désintégration de la masse devient sa grammaire propre partant des formes élémentaires du cube et du cylindre, en décomposant la masse et en l'ordonnant par rapport à l'espace. L'Abbaye du Thoronet est le dernier choc d'évidence qui le confirme dans sa recherche et qui, de plus en plus, l'amène vers des formes et des projets architecturaux. Sa vision le mène dans les années soixante vers l'urbanisme. Marino voit les structures de l'avenir des villes en spirale, en trame internationale. Pour l'instant, ces visions sont restées pour la plupart utopiques comme pour d'autres architectes et urbanistes des siècles qui nous ont précédés. Il faut espérer que dans un futur plus ou moins proche quelque chef d'Etat ait le courage d'engager le chantier pour construire déjà une seule unité de ses multiples propositions. N'abandonnons pas l'espoir! IV A part de nombreuses œuvres publiques réalisées dans un contexte urbain et à part de nombreux prix reçus, Francesco Marino di Teana a été honoré d'une façon exceptionnelle d'une institution que nous admirons tous que non seulement s'occupe de langage et de littérature, mais aussi de la création artistique "même actuelle": L'Institut Français. Bravo pour l'initiative et le vote pour l'œuvre de Marino di Teana. Ainsi cet hommage modeste que nous célébrons se trouve dans la même grande tracée et nous pouvons nous en féliciter. Puisque cet hommage est pour moi un peu plus personnel que d'autres, je me permets ici d'exprimer encore une appréciation à cause de sa rareté et de sa haute signification pour Günter Fruhtrunk et pour moi-même, pour moi jusqu'à ce jour: Je voudrais rendre un hommage à la mémoire de Huguette Séjournet, la femme de Marino et la mère de Nicolas. Elle-même peintre, elle a accompagné l'artiste à ses côtés sans faille, et comme très jeune femme déjà elle avait donné preuve d'un courage exceptionnel en entrant dans la résistance après la déportation de son frère comme résistant français et dont elle devait apprendre la mort par les allemands nazis dans les derniers jours de la guerre. Ceci nous ne l'avions pas appris que des années après avoir noué notre amitié, mais nous en étions d'autant plus impressionnés en nous sentant dans une toute excellente compagnie avec Huguette. Un dernier mot qui relie Cambrai encore plus étroitement à Marino: En 1981 - il y a presque 30 ans! - la première exposition par l'association REPERES à Paris fut celle dédiée à deux artistes de mon choix: Francesco Marino di Teana et Guy de Lussigny. Voilà la continuité dont Cambrai a repris le relais. Santé pour Francesco et une grande et longue vie à son œuvre ! Je vous remercie de votre patience. |
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